Une autre qualité « morale » de l’association, c’est sa curiosité intellectuelle à tendance historique, laquelle se concrétise par un voyage annuel. 2010, c’était le Jura (voir le bulletin 2011) ; 2011 a vu 18 Ligériano-lyonnais faire plus de 600 kilomètres pour rallier la Thièrache, mieux connue sous l’appellation de Picardie. Le séjour, organisé comme d’habitude et avec la même maestria par Marie Thérèse Frappas, a débuté à Sorbais, village historique de briques centenaires où coqs et canards entretenaient un concert qui permettait de renouer avec d’antiques traditions de convivialité fermière ; le gîte rural (dont une cheminée portait la date de 1694 sur son manteau) jouxtait une église abritant un Saint Martin restauré du 16e et proposait au menu une tarte au maroilles, une daube au cidre (de Thiérache) et un clafoutis à l’abricot ; et malgré tout cela l’ambiance fut studieuse puisqu’il s’est tenu une réunion de bureau. Le lendemain était réservé à la ville de Guise (prononcer (Gu-ise, car le nom viendrait de « gué sur l’Ise », ou Oise ) pour découvrir avec émerveillement le familistère Godin. Pourquoi ce choix ? Là encore parce que Jean Baptiste André Godin (1820-1888) était un correspondant de Benoît Malon et ce dernier le présentait comme étant le modèle de patron dans l’industrie française. Et personne n’a été déçu ! La visite, guidée dans un premier temps par une guide née sur place et issue de 4 et 5 générations de familistériens, débordante de foi godinienne, se poursuivait individuellement au fil des salles restaurées : calorifères et autres productions de l’usine sont exposés avec un souci esthétique et pédagogique rare, et l’ensemble de « l’utopie réalisée » permet de comprendre l’ampleur de vue de « Monsieur Godin » à qui n’échappait aucun détail de la vie matérielle et sociale. Le but du déplacement fut définitivement compris lorsqu’on découvrit que la bibliothèque (partiellement reconstituée après dispersion) de l’entrepreneur-philosophe comportait un livre parmi d’autres : Histoire du socialisme de Benoît Malon…
La fin d’après-midi, c’était au tour du château fort de Guise, belle illustration de l’opiniâtreté d’un individu conscient de la nécessité du maintien des richesses patrimoniales face à l’abandon des instances officielles caractéristique des années 50/60. L’on nous y a enseigné entre autres la façon d’ébouillanter l’assaillant et l’utilisation du lépreux comme dissuasion de l’envahisseur potentiel: tout un art de vivre confirmé par la précision apportée sur l’arbalète capable de transpercer trois hommes en enfilade d’un seul carreau (à condition toutefois qu’il s’agisse d’infidèles et non de chrétiens, décision d’un concile soucieux d’humanité…)
Le temps fort du dimanche fut la visite sur le Chemin des Dames de la Grotte du Dragon, espace où en 1917 Français et Allemands se sont entretués, gazés, bombardés pour obéir aux ordres… La visite fut particulièrement évocatrice de l’horreur du quotidien grâce à la performance d’un guide trilingue convaincu d’un devoir de mémoire envers tous les grands-pères des deux bords injustement sacrifiés et atrocement traités. Qu’aurait pensé Jean Baptiste André Godin de cette folie meurtrière et suicidaire ? On peut imaginer sa tristesse désemparée et son accablement, lui qui ne pensait qu’au progrès social et à l’harmonie entre les humains…
Pour clore ce périple riche en émotion et en réflexion Laon a offert la beauté de sa cathédrale aux tours multiples ornées de bœufs contemplatifs et la richesse d’un passé qui a fait d’elle la première ville de France, commercialement et culturellement : encore une belle leçon d’histoire à vivre au fil des plaques explicatives et du circuit du petit train pris par certains. Un week-end donc d’une densité stimulante qui ne demande qu’à être renouvelé.