A dix-huit ans, en 1859, Benoît Malon, épuisé, malade, est recueilli par son frère, Jean Malon, qui est devenu instituteur et vient d'être nommé à Margerie-Chantagret. Il l'accueille, le soigne, le remet sur pied. Benoît Malon fréquente la classe de son frère : grand élève parmi les enfants de l'école de Margerie-Chantagret, un petit village des monts du Forez, où il eut son premier poste. Chez son frère, Benoît Malon acquit les connaissances de base qui lui manquaient. Comme s'il voulait rattraper le temps perdu, il voulait tout savoir et tout apprendre. Il lui arriva même de " remplacer plusieurs fois son frère dans sa classe ".
Jean Malon, l'instituteur, fut ensuite nommé à Maringes, près de Chazelles. Benoît Malon le suivit. En 1860-1861, Benoît Malon - il a 19 ans - est donc à Maringes avec son frère. Il continue à l'aider dans sa classe. Il se lie d'amitié, lors de cette première année à Maringes, avec plusieurs jeunes gens de son âge : Etienne Girin, sa sœur Jeannette, Benoît Meilland et Pierre Marie Fayolle. Grâce à la découverte en juillet 2002 de quinze lettres de Benoît Malon dans une famille de Maringes, nous avons d'intéressants renseignements sur cette période de la vie de Benoît Malon.
Jean Malon constate qu'il n'a plus grand chose à apprendre à son frère ; il se préoccupe de lui faire poursuivre son instruction. Benoît Malon entre alors à Lyon dans un " pensionnat " à Lyon où sont élèves, en même temps que lui, ses amis Fayolle et Meilland. Il en est l'élève pendant l'année scolaire 1861-1862 et peut-être une partie de l'année 1862-1863. Il s'agit du " pensionnat " tenu par un prêtre, l'abbé Lachal, qui dirigeait une " école cléricale " dans la paroisse Saint-Eucher qui se trouve à la Croix-Rousse. Ces " écoles cléricales " correspondraient aujourd'hui à de " petits collèges " (de la 6e à 4e ou à la 3e) qui préparaient à l'entrée dans les deux ou trois dernières classes du petit séminaire. Benoît Malon se trouvait avec des élèves plus jeunes. Il continue à manifester ses dons pour l'étude. Il est fort en latin. Il s'essaie aussi à la poésie, rêvant d'être écrivain. Qui a payé les études de Benoît Malon ? Nous n'en savons rien. Thomas Rochigneux, secrétaire de la Diana, qui a écrit une brochure sur Précieux dit que la famille Bret - la famille des châtelains de Précieux - aurait payé ses études, d'autant qu'elles devaient le destiner à la prêtrise. Effectivement, dans l'une de ses lettres, Benoît Malon parle de la protection d'une " dame de chez nous ". A-t-il voulu être prêtre ? Il le reconnaît dans l'une de ses lettres. Il est proche du curé de Maringes, M. Chavassieu, chez qui il se rend lorsqu'il vient à Maringes. La prêtrise représentait alors pour beaucoup de jeunes ruraux un moyen d'ascension sociale.
Benoît Malon est donc ensuite entré au petit séminaire à Lyon : mais il n'y est resté que quelques semaines, découvrant que ce n'était pas là sa voie. Il est alors pendant quelques mois employé de commerce à la Croix-Rousse puis employé de banque à Trévoux (Ain). Mais son destin va s'orienter autrement.
En effet, lors de son séjour à Maringes, Benoît Malon est tombé amoureux de Jeannette Girin, la sœur de son ami Etienne. Ils ont 21 et 19 ans. L'amour est réciproque. Les parents ne sont pas très contents de cette idylle de leur fille avec un jeune homme destiné au séminaire et cette jeune passion a joué probablement son rôle dans le refus de Benoît Malon de devenir prêtre. Mais, sorti du séminaire, il voudrait poursuivre des études, gagner Paris pour tenter sa chance et ne sent pas fait pour un mariage trop proche. Il se brouille une première fois avec Jeannette. On sent que Benoît Malon a traversé une crise pendant laquelle il a douté de son avenir, non seulement de son avenir sentimental mais aussi de son destin personnel (le travail à Lyon et Trévoux).
Restait la perspective du service militaire qui était alors de cinq ans. En février 1862, à Montbrison, Benoît Malon tira "un bon numéro" qui l'exemptait automatiquement du service... Il était libre ! Quelques mois plus tard, "ayant bouclé sa ceinture, et le bâton de voyage à la main" (Léon Cladel), il se dirigeait vers Paris, pour y chercher du travail. Benoît Malon avait dénoué la situation en se dérobant aux pressions et aux doutes qui l'assaillaient. C'est un tournant car il renonce à la vie qu'il avait commencé à se construire et aux moyens qu'il avait envisagés pour s'élever socialement. Il ne rompt pas tous les ponts avec Maringes. Pendant trois ans, il continua à correspondre avec Etienne Girin. La correspondance avec Jeannette reprit : mais la jeune fille pensait au mariage. Elle rompit devant les hésitations d'un " fiancé " aussi peu pressé et elle quitta Maringes.
Jeannette est née à Maringes le 10 juillet 1843, de Jean Antoine Girin, maçon et de Benoîte Grommollard. À Viricelles, le 20 janvier 1872, Jeanne Pierrette Girin épouse Joseph Murigneux. Au moment de son mariage, elle est ouvrière en soie. Si Joseph se remarie 6 mois après le décès de sa femme, on peut bien sûr penser que c’est par amour… mais il avait aussi sans doute besoin de quelqu’un pour s’occuper de ses enfants encore jeunes.
Un petit détail : Joseph ne signe pas à son 1er mariage mais signe au second, 14 ans plus tard.